L’étude généalogique permet de vérifier certaines théories de sociologie de la famille
Je me souviens de mon premier cours de sociologie de la famille : l’enseignant avait très sérieusement parlé d'un sociologue qui avait expliqué que - par le passé - il n'y avait pas eu de familles nombreuses. C'était une invention de l'Eglise pour que les fidèles aient des enfants et que l’Eglise encaisse de l’argent au moment des sacrements et des héritages. Un jour, je suis allé voir l’enseignant pour qu'il m'explique... parce que des familles nombreuses par le passé, j'en connaissais suffisamment pour douter qu'on puisse m'enseigner le contraire à l’université. L’enseignant surpris m’a répondu "c'est pas moi, c'est untel qui dit ça"...
Revenons au concret dépolitisé. Toute personne qui fait de la généalogie peut constater qu'il pouvait y avoir des couples sans enfants, mais que les familles nombreuses existaient quoiqu’en disent certains anticléricaux. De même, toute personne qui fait de la généalogie peut constater que la famille vertueusement stable idéalisée par certains chrétiens n'était pas une norrme absolue : au gré de la dureté de la vie et des décès, les familles se recomposaient autant, si ce n’est davantage qu’aujourd’hui à l’heure des divorces. Dans les registres, j'ai pu identifier que certains se sont mariés religieusement jusqu'à 5 fois !
De même, les enfants nés "ex illicito" ou "naturels" (les autres sont-ils artificiels ?) étaient plus courants qu'on ne le dit et les actes témoignent qu'ils pouvaient avoir une personne influente pour parrain ou marraine, ce qui démontre qu'ils n'étaient pas systématiquement exclus de la société.
Le récit historique est rarement objectif car il est souvent à la solde de représentations du monde qui construisent des idéologies. Nos représentations du passé sont donc généralement faussées à dessein.
Pour ceux qui recherchent davantage de vérité, la sociologie explique que les représentations du mariage évoluent dans le temps mais aussi en fonction de la richesse des sociétés. Il existe différents types de modèles :
- à une extrême, lorsque des pays, peuples, territoires sont pauvres, le mariage n'est pas beaucoup lié au sentiment. Il sert à sceller une alliance entre deux familles qui se doivent désormais assistance. C'est aussi une façon d'éviter la dispersion des biens et de favoriser la mise en commun des richesses et leur transmission aux descendants, entre familles alliées. Le « mariage de raison » est un système défensif quand les existences sont en péril. Dans ce contexte, il n’est pas question de divorcer, ce serait trahir les alliances de familles, ce serait mettre en péril les solidarités mutuelles et l’ordre social endogame défensif.
- à l’autre extrême, dans les pays riches, l’union peut être exogame et elle est liée au sentiment… Le mariage n’a plus besoin d’être formalisé comme système d’alliance, et - quand il l’est - il devient aussi précaire que le sentiment.
Les registres de Fermanville peuvent servir de révélateur.
Au 17ème et au 18ème siècle, quand il y avait un peu de biens, on se mariait rarement entre « étrangers » ! La famille s'arrangeait pour que l'on reste entre familles alliées et l'Eglise veillait à ce qu'ils n'y ait pas trop d'abus de consanguinité, continuant de demander aux mariés s'ils étaient consentants (remarquez, ils ne risquaient pas de dire non devant les familles...).
Chacun peut remarquer dans les actes de Fermanville que lorsqu'un veuf ou une veuve se remariait, cela pouvait être dans un cercle familial très proche, ce qui était beaucoup moins fréquent lors du premier mariage. Comme si le premier mariage entre "gens de simple condition " était moins contraint, mais une fois qu'ils avaient commencé à faire leur vie et à accumuler quelques biens... là, la situation changeait, le remariage devait (apparemment) se faire entre proches pour ne pas disperser le peu qui avait été acquis, pour mettre en commun la descendance et garantir son avenir.
-> Cela nous rend service en généalogie aujourd'hui : cela se traduit par une multiplicité de contrats de mariage et surtout de dispenses de consanguinité.
-> Quand nous remontons la lignée des familles les moins démunies, les inconnues peuvent s'élucider en reconstituant les familles.
Une autre partie de cette théorie se vérifie aussi dans les registres de Fermanville. Les sociologues expliquent que quand il y a un peu plus de richesse dans une société, la contrainte de l'héritage et de l'alliance entre familles s'estompe, laissant plus de place au sentiment, mais aussi plus de place au risque de rupture du couple. Cela ne veut pas dire que seuls les riches peuvent divorcer (au contraire, ils sont davantage conservateurs), cela veut juste dire que la pression sociale générale est moins forte pour empêcher la fin des alliances car elles sont moins nécessaires à la survie et donc à l'ordre social.
Dans les actes de Fermanville, nous nous apercevons que dans la 2ème moitié du 19ème, il y a de moins en moins de fileuses, de plus en plus de femmes "travaillant dans le ménage", c'est à dire sans véritable profession et laissant l'époux subvenir seul aux besoins financiers du ménage. Même si cela ne plaisait pas à Mme Simone de BEAUVOIR qui n'a probablement jamais su et compris ce qu'ont enduré nos ayeules (infatigables travailleuses anonymes loin de tout confort bourgeois), c'est un signe d'enrichissement global de la société. Or, une génération après, à la fin du 19ème (soit un long siècle après la création de la possibilité juridique), apparaissent les premiers divorces de Fermanville.