Le nom de famille RAOULT se situe environ au 1500ème rang des noms les plus portés en France, avec – selon les sources – plus ou moins 4 000 bénéficiaires. Cela en fait un nom assez fréquent, il a d’ailleurs été porté par plusieurs hommes politiques de différents horizons, par le physicien François-Marie RAOULT dont les lois de thermodynamique restent parmi les plus complexes de la physique-chimie. Et il y eut bien d'autres RAOULT parmi les scientifiques.
Plus proche de nous, Didier RAOULT, professeur-chercheur en microbiologie, a démontré l'illusion que véhicule la théorie darwinienne : nous ne descendons pas génétiquement que de nos parents, nous véhiculons également des gènes qui nous sont transmis par les bactéries et les virus. Or, dans un corps humain, il y a plus de bactéries que de cellules humaines et elles sont à l'origine de 10% de notre ADN... D'où une créativité du vivant qui dépasse l'évolution à partir des gènes des géniteurs.
A l’origine, ce patronyme vient de "Rao-ulfr" en vieux norrois (langage scandinave) et de "Rad-wolf" pour son origine germano-flamande. Dans sa signification, ce nom est composé du préfixe "rao" / "rad" (conseil, sage, avisé, habile, judicieux) et du suffixe "ulfr" / "wolf" (loup). La plupart du temps, c'est l'origine "Rad-wolf" qui est mise en avant car ce nom était souvent écrit "Radulphus", "Radulphi", etc... dans les premiers registres écrits en latin.
L'étymologie a son importance car elle peut permettre de remonter aux origines de ce prénom "Rao-ulfr" ou "Rad-wolf" devenu nom de famille. Ainsi, il aurait été un surnom de guerriers, voire de chefs scandinaves, qui nous serait parvenu par deux chemins : la route des mers par les Vikings, la route des terres via la Flandre. Ce nom est d’ailleurs encore très usité dans la région des Hauts de France.
Devenu moins fréquent en Normandie, terre de Vikings, ce nom reste néanmoins bien ancré dans la toponymie avec Manneville-la-Raoult (27) à proximité de l’embouchure de la Seine, Mesnil-Raoult (50) et Mesnil-Raoul(t) (76) antérieurement appelé Maisnillum Radulphi en 1191,... et même Rauville-la-Place et Rauville-la-Bigot dans la Manche (le nom Rauville étant composé de Radulphi + Villa : le domaine de Radulph ou Raoult). Dans l'Orne, on trouvera également Le Merlerault (Merula Radulfi : Merle-Raoult) et son prieuré de la Genevraye qui était anciennement dénommé Vallis Radulfi (Val Raoult).
Par ailleurs, au sud de Saint-Lô, à la Mancelière sur Vire, il y eut les RAOULD Sieurs de la Pesquetière, Rauville, Poribé, une famille alliée des célèbres MATIGON et des non moins célèbres GRIMALDI de Monaco. Mais il s'agit de l'autre souche RAOULT de la Manche, celle de Saint-Samson-de-Bonfossé, de Mesnil-Raoult et plus largement du pays Saint-Lois (50).
Pour en revenir au Val de Saire, nous sommes intéressés par un lieu-dit de Gatteville-le-Phare, entre Gouberville et Barfleur. Sur cette commune, il existe un hameau nommé Rauville (Radulphi + villa : le domaine de Raoult), avec une rue de Roville. Or, dans les registres paroissiaux de Gouberville comme de Barfleur, nous savons qu'il y avait des RAOULT à Gouberville et à Gatteville au moins dès le 16ème siècle. Voici donc une souche ancienne et certaine des RAOULT du Nord-Cotentin.
Par les plus vieux registres notariaux de Réthoville et grâce au chartrier de Bellanville (Cosqueville), nous savons que des RAOULT étaient également bien implantés, à la même époque, à Fermanville. Ceci étant, les traces plus anciennes signalent - dès le 15èmesiècle - une famille de tabellions royaux (notaires) bien établie à Cherbourg et en Val de Saire (Carneville et Theurthéville-Bocage).
Paradoxe, ce nom nordique devenu typiquement normand est désormais surtout porté en Bretagne, une autre terre de marins. Pour quelle raison ?
Certains estimeront que des Normands se sont installés en Bretagne. C’est plus que probable en raison des migrations dues à la guerre de 100 ans (notamment à la fin du 14ème siècle quand le roi de France a voulu vider le Nord-Cotentin de ses habitants pour créer un "no man's land" autour de Cherbourg occupée par les Anglais). C’est également possible en raison du commerce ancestral des nessains d’huitres de la Hougue (nord-est du Cotentin) vers Cancale, qui n’y est probablement pas pour rien. La route des nessains d’huîtres n’a jamais été étudiée, et pourtant, le relevé des occurrences RAOULT dans l’attribution des pensions aux anciens de la marine royale puis nationale, parues dans les vieux Bulletins des Lois, mettent en évidence une tradition commune entre les RAOULT de Fermanville et ceux de Cancale. Autre hypothèse, pendant longtemps le port de Cherbourg n’avait pas son rayonnement actuel. Les inscriptions maritimes des marins normands se faisaient donc le plus souvent à Brest, jusqu’où il fallait se rendre, quitte à y rester et à y faire souche.
Mais le chemin inverse était possible, puisque plusieurs migrations bretonnes ont eu lieu vers la Normandie. Suite au colloque de Cerisy-la-Salle en octobre 2005, et dont témoigne le livre Bretons et Normands au Moyen-Âge, rivalités, malentendus, convergences (Presses Universitaires de Rennes), il apparait plus clairement que des échanges religieux ont notamment eu lieu au moins depuis les pérégrinations du moine irlandais St Colomban à la fin du 7ème siècle. Entre autres, le culte à Saint Samson est un marqueur des apports religieux bretons en Normandie, or la souche RAOULT du pays Saint-Lois s’est justement développée à Saint-Samson-de-Bonfossé et dans un périmètre immédiatement proche. Est-ce également le cas pour la souche RAOULT du Nord-Cotentin ? C’est également possible.
Le port de Fermanville est plus ancien que celui de Cherbourg, et il fut abondamment fréquenté au moins depuis les légions romaines. Dans cette région, les migrations terrestres et côtières sont donc venues de loin, même de Bretagne, notamment lorsque le roi de France a confié l’Avranchin et le Cotentin aux ducs de Bretagne, de 867 à 933. Les Bretons ne furent probablement pas nombreux mais des vavasseurs (initalement il s'agissait de vassaux de vassaux, puis - de meilleure condition que les paysans - ce furent des hommes libres exploitant une terre tenue du seigneur contre une rente (1), voire en devant un service militaire tel que celui de la milice garde-côte pour les paroisses littorales) ont tenté l’aventure et cherché de nouvelles terres où ils se sont durablement implantés, ainsi que dans la petite noblesse manchote. Ils ont alors parfois établi de petites communautés dont le témoignage reste régulièrement bien ancré dans la toponymie locale. C’est ainsi qu’à l’est de Cherbourg, l’entrée du Val de Saire est veillée par Bretteville-en-Saire, située peu avant Carneville (Kierne-villa) dont l’église est toujours dédicacée à Saint-Malo, auprès des RAOULT de Fermanville. La présence bretonne est également attestée de l’autre côté du Val de Saire, notamment à Barfleur avec son vieux quartier nommé « La Bretagne », auprès de la souche des RAOULT de Montfarville et à quelques petits kilomètres de Rauville (RAOULT-villa) entre Gatteville et Gouberville.
Certes, mais pourquoi des Bretons auraient-ils adoptés le patronyme germano-scandinave RAOULT ? Tout d’abord le prénom Raoul était parvenu de Flandre en Bretagne avant l’arrivée des Scandinaves. Puis, quand le Cotentin devint viking, les petits nobles bretons arrivés avant - mais voulant rester ici - durent faire preuve d’allégeance aux nouveaux suzerains scandinaves, notamment en adoptant des prénoms puis des patronymes nordiques. Le nom RAOULT a donc pu se répandre chez les Bretons vassalisés par les Normands.
Porter le nom RAOULT ne signifie donc pas forcément que l’on a des origines nordiques. Comme nombre de noms d’origine scandinave et germanique, ce fut un prénom puis un nom qui furent en vogue dès le Moyen-Âge, notamment quand les noms de famille se sont implantés sous l’effet de la pression démographique du 11ème au 13ème. Il a visiblement été diffusé par des marins, ce qui expliquerait qu’il soit encore surtout présent dans les régions côtières de la France. Quand on étudie le devenir des RAOULT de Fermanville, un des deux foyers du département de la Manche, on est d’ailleurs vite surpris de voir partir ces marins voguer, s’installer, vivre et mourir de Dunkerque à Toulon, voire bien au-delà : en Afrique, à Vera Cruz au Mexique, à Tho Bo sur les bords du fleuve noir, au Tonkin (Vietnam)...
D'ailleurs, aujourd'hui, on trouve notamment des Raoulx en Polynésie Française, des Rawlls dans les pays anglo-saxons, des Raùl dans les pays de langue portugaise ou espagnole. Comme beaucoup de noms assez fréquents et diffusés, ce nom a connu de nombreuses variations. Depuis Radolphus ou Radolfi en latin, et jusqu’à Radou ou Razoux en vieux Provençal, il a aussi communément évolué vers Radulph, Raoux,...
Pour en revenir au nom RAOULT en Val de Saire, l’étude des registres de Fermanville, de Mauperthus et de Carneville montre des écritures très variées en très peu de kilomètres : Raoul, Raout, Raouts, Roauts, Raud, Raul, Rault, Raulx, Raux ou Reaux, voire confondu avec Ruaux. Cela laisse forcément place à des interprétations et à des débats, des controverses. Ainsi, malgré les preuves des registres d’état civil et religieux, bien que RAOULT soit depuis longtemps prononcé [ro] en Cotentin, il est de plus en plus affirmé que ce nom n’aurait pas la même origine que RAULT.
RAULT proviendrait en effet de Hrod-Wolf ou Rod-Waldh (Le préfixe hrod voulant dire "renom" ou "gloire", le suffixe Whald/valta signifiant "gouvernement") à l’origine de Rodolphe, de Hrolf dans les pays scandinaves. D’ailleurs, en 911 à Saint-Clair-sur-Epte, ROLLON signataire normand du traité de paix avec le roi de France Charles le Simple, était appelé HRÖLF par ses compatriotes norvégiens. Ainsi, RAOULT ne serait plus à considérer comme étant à l’origine des variations Rou ou Roult, Rollo, Rollet ou Raulet, Rouault ou Ruault.
Si cela pouvait être aussi simple ! Le nom de personnages historiques témoigne qu'il n'y a probablement jamais eu un tel cloisonnement entre les différents patronymes en question. Ainsi, à la fin que 9ème siècle, le Seigneur de CAMBRAI est appelé tour à tour Raoul, Rudolph et Rodolphe. Plus près de nous, en Val-de-Saire, à la lecture des registres, il y a indéniablement une porosité entre les orthographes RAULT et RAOULT en passant par RAOUL... et certains deviennent RAULX ou RAUX, comme à Montfarville, près de Barfleur. C'est pourquoi il n'est pas difficile d'en déduire que des Rad-Wolf sont devenus des RAULT et qu'inversement, des Hrod-Wolf ou Hrod-Waldh sont devenus RAOULT. La lecture des registres paroissiaux est une preuve manifeste. Il est vrai qu'à l'époque, la lettre "U" pouvait probablement se prononcer [ou] comme en latin. Et cette variabilité n'est pas spécifique au Nord-Cotentin : mes ancêtres maternels RAOULT du département du Nord (59) s'appellent tour à tour Raoult, Roult, Roust, Rahou, Raho,...
Que peut-on conclure avec une telle variabilité ? La seule certitude que l’on peut avoir, c’est que l’orthographe des noms ne s’est figée qu’au cours du 19ème siècle. Alors,... avant, depuis les premiers patronymes et matronymes du 11ème…
Finalement, faut-il parler d'un nom ou faut-il parler d'un courant patronymique où des dénominations proches interagissent ? Personnellement, je préfère la notion de courant patronymique, mais vous n'êtes pas obligés de me suivre.
Toujours est-il que porter ce nom, c’est hériter d’une histoire longue et riche, venue de loin, très loin.
Si vous souhaitez poursuivre :
A découvrir, une étude sur le prénom Raoul et ses variantes féminines : Annales de Normandie, 6ᵉ année, n°1, 1956. Le quatrième centenaire de la naissance de Malherbe, pages 47 à 74, article de M. LEPESANT : Notes d'anthroponymie normande. Les noms de personne à Evreux du XIIème au XIVème siècles.
http://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_1956_num_6_1_4303?h=raoult
(1) Léopold DELISLE, Etudes sur la condition de la classe agricole et l'état de l'agriculture en Normandie, au Moyen-Âge...